Non, non, non ! Ne vous laissez pas méprendre ! La Guyane, c’est pas seulement les vacances, la Guyane, la chaleur, les cocotiers, le ti’ punch, les promenades. Hé ! Ne donnez pas dans le refrain, ouais les artistes et les profs, ça bosse pas souvent. Car je l’entends dire, on me le fait sentir. TA-RA-TA-TA ! Dixi ! Pour preuve, je vais parler de mon taf, quoi, de ma vie professionnelle, ok ?
Vous savez tous que le métier de professeur implique, outre les cours, leur préparation, les corrections, les conseils de professeur, et en particulier les réunions de parents, un des moments les plus amusants du métier, car on voit de nouvelles têtes, on entre en contact avec la vraie vie. Je rappelle que la plupart des professeurs souffre tous un peu de puérilisme, car depuis qu’ils sont enfants, ils n’ont jamais vraiment quitté l’école…Alors la réunion des parents !…C’est du concret.
Je passe rapidement : vous ne devez pas ignorer que la plupart des parents viennent pour entendre des compliments sur leur descendance, qu’ils ont tant contribué à façonner. Ceux-là encore, si la mère est passable, on peut supporter. Il y a ceux qui viennent ayant prémédité de donner une correction publique au fruit de leurs amours lointaines. Ceux-là sont plus durs au dialogue et à l’échange, et exigent un certain équilibre psychologique pour ne pas ressentir de l’émotion, ne mélangeons pas vie professionnelle et sentiment !
Jusqu’ici, pour ceux qui en ont déjà entendu parler ou l’ont vécu, rien de particulier. On se croirait dans le cadre de n’importe quel collège de Bretagne. Mais j’en viens à la spécificité guyanaise : les parents ne parlant pas le français, mais désirant rencontrer le professeur. Très bien ! Trop souvent la honte de ne pas parler la langue dissuade les parents non francophones de venir dans les murs du collège. Il a fallu parler anglais avec la dame du petit guyanien, qui ne cessait de répéter : « He knows what’s going to happen, he knows what’s waiting for him » (= il sait ce qui va arriver, il sait ce qui l’attend ), pointant d’un doigt menaçant l’enfant, qui regarde sa mère, les yeux déjà gonflés par les larmes qui naissent du fait qu’il sache ce qui l’attend….
Mon brésilien n’est pas suffisant pour m’exprimer professionnellement avec la mère d’un autre, d’autant plus que le métissage indien prononcé de son visage me laisse supposer qu’un peu de patois arawak pouvait très bien se mêler dans les mots brésiliens employés par l’amazonienne, qui chuintaient extrêmement en parlant. Nao tem problemo ! Désolé, je n’ai pas de tilde ! Bruno est là, qui va faire de la traduction simultanée à sa maman, qui sourit quand il lui dit que je suis content de son travail, qu’il fait des efforts et qu’il a des bons résultats, qu’il participe, qu’il est sérieux et poli. Bruno sourit aussi un peu en traduisant, mais il est concentré sur ce qu’il dit. Il est méritant. Voilà, j’ai tout dit. Je tente un : « A proxima vez, vao fallar brasileiro ! ». Elle me répond : « Moi aussi, je parlerai prochaine fois ! » Au revoir.
Quant à mon sranantongo, j’avoue qu’il n’est pas à la hauteur. J’aurais pourtant voulu honorer ce papa venu d’Apatou, un village à 2 heures de pirogue de Saint-Laurent de Maroni. « Mo pa palé français, elle traduit ». Ok ! Je regarde les mains du père, petites, un peu boudinées, burinées, les ongles coupés à ras, d’une roseur qui contraste avec la peau noire sombre. Sa fille profite bien de son redoublement. Elle fait des progrès en lecture. Elle traduit d’une voix gutturale que je ne lui connais pas. Elle parle bas. Le père lui fait un commentaire, à voix basse, je glisse un mot à Mariette, elle explique à son père, tout va bien, merci d’être venu de si loin.
Quand vient la mama haïtienne, même si elle parle seulement le créole, on peut se comprendre sans problème !
Qui a dit qu’on ne bossait pas chez les profs en Guyane, hein ?! Et les spécificités, alors ?!