C'était un dimanche bleu et chaud, sans l'ombre d'un seul nuage. Chants et cloches des messes résonnaient partout en ville, où toutes les églises étaient bondées, comme à chaque dimanche dans n'importe quelle ville malgache probablement ! Les rues ne voyaient passer que des gens tout de blancs vêtus. Ou de gris. Ou de noir. Chaussures cirées. Cheveux plaqués. Cravates. Robes à dentelles. Et même les petites chaussettes à frou frou assorti avec le ridicule ruban sur les têtes sans cheveu des bébés. Tout ce qu'il faut pour distinguer cette journée dominicale différente des autres jours de la semaine. Sur la plage où nous nous promenions habituellement, le sable brûlait. Les vagues grondaient plus méchamment que d'habitude, sous l'influence des mauvais jours précédents. Au niveau d'une épave ressurgie après le passage du cyclone récemment, une forte odeur d'encens se mêlait à la brume salée que dégageait la mer. Le cadre ne s'y prêtait pas vraiment, mais il règnait sur la plage une atmosphère aussi dévote qu'en ville.
Une trentaine de personnes pasmoldiaient bras en l'air face à l'horizon, pieds nus sur le sable brulant. Il n'y avait qu'eux, le bleu de la mer, le bleu du ciel si grand sans nuages, le soleil, le sable, l'épave rouillée. Et cette odeur d'encens. Au loin, chants et cloches des messes résonnaient encore. Tout près de la mer, un couple à moitié nu tenait ensemble un animal au pelage si blanc que ça faisait mal aux yeux sous l'éblouissant soleil. A scruter de loin, nous reconnûmes une oie. Nous n'osions nous approcher. Dans la mer, un personnage au visage masqué, faisait face à tous les autres. Sa longue robe rouge et dorée, ornée d'une croix et d'un croissant de lune dansait sous les vagues. Sa peau noire contrastait avec le masque blanc qui, comme le plumage de l'oie, éblouissait au soleil. Il dirigeait la cérémonie. Il parlait, mais sa voix ne parvenait pas à nos oreilles. Après de très longues minutes, un rouge vif se frayait un sillon dans le blanc des plumes de l'oie qui se faisait égorger. Du sang coulait sur le sable, balayé aussitôt par le va et vient de la mer quelque peu rougie, violacée, puis bleu à nouveau. Nous ne voyons rien de tout cela. Nous imaginons tout à la vue de cette tête d'oie qui est restée dans la main ensanglantée de la femme à moitié nue.
Petit flou dans ce qui suit le sacrifice de l'oie à la mer. Il nous faut courir après Meva qui n'arrête pas de se jeter dans les vagues rugissantes.
La petite communauté s'attrouppe à un moment au bord de la mer, sous les directives du personnage masqué. Ils affrontent les vagues, bouteilles vides à la main. Certains sont rejetés à terre. L'encens continue de brûler. Le pseudo prêtre à la robe rouge lève un baton argenté - peut-être le couteau qui a égorgé l'oie, tout en disant des prières. En file indienne, la foule sort ensuite de la mer, lambahoany mouillés multicolores dévoilant des seins nus. Il semblait qu'il leur fallait boire l'eau de mer...
Il faisait chaud. Il était bientôt midi. Il nous fallait rentrer, embarrassés d'avoir entrevu jusqu'à quel point pouvait aller le besoin du malgache de croire en quelque chose !!! Sur le chemin de retour en ville, les cloches sonnaient la fin des messes et chacun s'en allait manger quelque part avant la sortie dominicale de l'après midi... à la plage !